Quelle expérience de télévision pour demain ? Part 4 et fin.

8 novembre 2013

L’expérience Media de demain.


Nous avons vu dans la première partie de cet article comment la notion de chaîne doit évoluer en un service applicatif qui propose une expérience d’usage sociale et conversationnelle autour du contenu. Dans la deuxième, comment la maitrise des data est primordiale pour y arriver. Et dans la troisième, comment les technologies liées à l’image, aux capteurs et aux implants ont un rôle à jouer. Nous allons dans cette quatrième imaginer l’expérience media de demain.

Si je parle ici de toutes ces technologies, ce n’est ni en technophile convaincu, ni en épouvantail voulant effrayer avec ce futur. C’est parce que ces technologies vont avoir une influence sur les contenus. On va s’en servir de plus en plus pour raconter des histoires, pour plonger le spectateur dans des expériences nouvelles.

Le media entertainment, lié aux images, va devenir pour l’homme un véhicule d’expériences sociales. Deux modalités devraient coexister et se mixer : une externe et une interne.

Le mode externe permettra une expérience pervasive. Une sorte de super transmedia qui sera collaboratif à l’extrême, dans un monde où le contenu est totalement immersif. Une expérience à vivre tout au long de sa journée, avec des objets connectés personnels et collectifs. Une expérience totale dont on a pu voir des prémices réussis via Lexis Numérique (In Memoriam et Alt Minds). Le mode interne fera la part belle aux capteurs haptiques notamment, mais aussi à des capteurs implantés dans le corps des spectateurs. L’expérience permettra de ressentir dans son corps, (et même de « voir » dans sa tête) les émotions et les images.

Projetons-nous :

nous sommes en 2027, Andrew Niccol vient de réaliser son nouveau film, Retour A Gattaca. Il a scanné en 3D ses acteurs, Amanda Seyfried et Justin Timberlake, a tourné dans des décors réels qui ont été transformés en décor de synthèse. On ne perçoit pas la différence entre ce qui a été tourné et ce qui a été synthétisé. Il a conçu et monté son film entièrement sur ordinateur, il y a rajeuni ses acteurs, leur a donné des émotions, et écrit son histoire, entièrement après coup, grâce à un logiciel qu’il vient de mettre au point.

Vous êtes chez vous, seul. Vous visionnez ce film sur votre écran mural de 4 mètres sur deux. Vous pouvez agir sur l’histoire avec une version simplifiée du logiciel de Niccol. C’est vous sur l’écran, vous avez remplacé le scan 3D d’un des acteurs par le vôtre. Ce n’est plus Amanda Seyfried ou Justin Timberlake, mais le ou la voisine du 8ème que vous avez scanné(e) sans qu’il ou elle ne s’en aperçoive, grâce à un hack ingénieux dans l’ascenseur. La scène de séduction ne se passe plus dans le salon futuriste imaginé par Niccol, mais dans le vôtre que vous avez substitué dans le logiciel. Vous avez éteint l’écran et utilisez maintenant l’implant dans votre cerveau, vous ressentez toutes les émotions de votre personnage, vous voyez le film à l’intérieur de votre tête. Vous le vivez.

Il est 23h. Vous êtes rentré(e) fatigué(e) du bureau, avec une collègue, le scénario du film est simplifié, votre rôle est magnifié, vous pouvez vivre une expérience passive mais riche dans un contexte rendu actif, un contexte qui intègre tous les évènements de votre journée. Vous ressentez non seulement physiquement les émotions du personnage, mais aussi celle de votre amie avec qui vous vivez maintenant le film de concert.

C’est déjà demain, vous vivez dans la réalité avec les pouvoirs que vous avez dans vos rêves !

Notes, quelques références intéressantes :

Littérature science fiction : le mouvement cyber punk ; Neal Stephenson, William Gibson, Bruce Sterling, Greg Egan ,…

Cinéma : Total Recall, Bladerunner, Existenz, Strange days,…

Quelle expérience de télévision pour demain ? Part 3.

7 novembre 2013

Quelles technologies pour la TV de demain?


Nous avons vu dans la première partie de cet article comment la notion de chaîne doit évoluer vers un service applicatif qui propose une expérience d’usage sociale et conversationnelle autour du contenu. Et dans la deuxième, comment la maîtrise des data est primordiale pour y arriver. Nous allons passer en revue, dans cette troisième partie, les autres technologies sensibles pour l’avenir de la TV.

La technologie dans son ensemble est un vecteur de changement pour la Télévision, pas seulement le Big Data. Après l’échec relatif de la 3D, c’est la 4K qui pointe son nez, alors même que la télévision japonaise prône de passer directement au 8K ! La 3D, même si nombre de téléviseurs ont été vendus, n’a pas vraiment pris et le nombre de programmes tournés en 3D baisse assez vite même pour le cinéma !

Alors 4K ou 8K demain ? Je parierais plutôt pour la 4K, d’abord parce qu’elle est plus simple à mettre en œuvre dans un avenir proche. Téléviseurs, codecs, caméras professionnelles et même grand public, post production, tout est prêt ou presque. Le principal goulet d’étranglement ce sont les tuyaux. Il faudra plus de débit, des codecs encore plus efficients, et une infrastructure plus performante.

Selon Marissa Meyer, CEO de Yahoo, le web sera 100% mobile en 2020, les fréquences vont devenir plus que jamais primordiales. Le 4K c’est une image 4 fois plus définie que la HD, on se rapproche vraiment de la réalité. La pub piège de LG, où l’on fait croire que l’écran est une fenêtre ouverte sur la « fin du monde » en est la meilleure illustration. La différence entre le 4K et la 8K n’est vraiment visible que quand vous êtes à 10 cm de l’écran : en 4K vous voyez les pixels, en 8K non. Mais qui colle son nez sur l’écran, surtout quand il mesure plus d’un mètre cinquante de diagonale ?

Cette différence minime me fait dire que c’est le 4K qui va s’imposer et sûrement de façon durable, à moins que les marketers ne trouvent une idée de génie pour nous faire avaler une nouvelle couleuvre.

Après le 4K, une autre technologie devrait révolutionner notre manière de consommer le grand écran : en le faisant disparaître, paradoxalement, grâce aux nanoparticules. Dans les laboratoires de recherche, on sait déjà élaborer une peinture composée de nanoparticules. Il suffit de l’étendre sur le mur pour en faire un écran aussi grand que l’on veut. Les architectes l’intégreront directement dans les murs de nos maisons !

Par ailleurs, on ne parle souvent que de l’image, mais le son est très important, c’est le facteur d’immersion principal, et cela peut rester, dans le futur, l’avantage de la salle de cinéma. Il sera compliqué et cher d’avoir chez soi un son en 22.1 comme le propose la NHK avec son système 8K !

Le cinéma devrait lui aussi évoluer sûrement en 8K voire 16K et donc avec un son totalement immersif.

Mais je pense que la programmation va aussi évoluer. Les séries vont faire leurs apparitions dans les salles de cinéma. Je parierais pour des séances de séries en « binge viewing » pour bientôt. Ce sera d’abord des programmations évènements, comme « la nuit de la saison 3 d’Homeland », par exemple. On devrait aussi voir des salles plus petites, d’une quinzaine de places, avec un bar, des canapés, des fauteuils plus confortables, et on louera cette salle avec un groupe d’amis pour voir un film, comme à la maison, mais avec une qualité d’image et de son optimale, tout en faisant la fête. Les toutes nouvelles salles hyperluxueuses créées tout récemment par Luc Besson en sont un premier aperçu.

Le cinéma va peut être évoluer aussi par rapport au degré d’attention qu’il demande. Beaucoup de jeunes aujourd’hui ont tellement l’habitude de faire 5 choses à la fois, qu’il leur est très difficile de se concentrer sur une seul chose, un film, pendant 90 minutes. Je ne serai pas étonné que l’on voie apparaître, sous peu, des films en forme de mini série de 6 X 15 minutes, et des séances organisées avec des pauses aménagées pour twitter, avoir une conversation sur « Whatsapp », regarder un clip sur YouTube sur son portable ou boire un soda.

L’homme post ATAWAD, comme je l’ai décrit plus haut, veut être maître de ses choix. La technologie lui vend cette illusion. La technologie ce n’est bien sûr ni bien ni mal, elle sait renoncer au manichéisme, et nous offrir souvent le meilleur sans nous préserver du pire, ou de l’effrayant tout au moins. Les objets connectés sont à nos portes et vont remplir très prochainement notre quotidien. En premier, les vêtements intelligents et l’iWatch qui promettent de nous connecter 24/24, 7/7 à l’internet.  L’iWatch collectera toutes nos données de vie, de jour comme de nuit, de notre pouls à notre cycle de sommeil. Gageons qu’on pourra prochainement enregistrer nos rêves pour nous les repasser dans la journée !

L’iWatch sera peut-être un événement majeur dans l’histoire de l’homme, elle va faire de nous officiellement un objet connecté ! Ce sera alors l’avènement de « Machine is US ».

Ce « Machine is US » est aussi à l’œuvre dans les Google Glass. L’homme est ainsi non seulement connecté à internet en permanence, mais devient aussi un homme augmenté. Les Google Glass, à l’esthétique pour le moment sommaire, devraient rapidement être remplacées par des lentilles avec des fonctions identiques, mais invisibles ou presque. Ces technologies ne laissent pas de poser des questions sur la liberté individuelle et collective. Mais elles vont aussi ouvrir le champ aux implants de confort : après la chirurgie esthétique, ses poitrines avantageuses ou pas, on verra apparaître des hanches, des genoux, des jambes entières de synthèse. Mais ces implants ne vont pas rester uniquement dans le corps, ils vont gagner en intelligence et pénétrer le cerveau. D’abord bien sûr pour aider les aveugles à voir et les paralysés à marcher. Mais très vite, ils vont avoir comme fonction d’augmenter l’homme, sa mémoire, sa résistance à la souffrance, sa vision,… Le danger pour l’homme sera de pouvoir contrôler la machine, que celle-ci lui échappe. Que le « Machine is US » se transforme en « Machine is USing us » !

Que va devenir l’expérience media, dans un monde où nous serons autant connecté ? C’est l’objet de la partie 4.

Quelle expérience de télévision pour demain ? Part 2.

6 novembre 2013

Deuxième partie : la maitrise des data.


Nous avons vu, dans la première partie de cet article, comment la notion de chaîne doit évoluer vers un service applicatif qui propose une expérience d’usage sociale et conversationnelle autour du contenu. Pour y parvenir, un prérequis, objet de cette 2ème partie : la maîtrise des data.

Pour inventer la TV de demain, la connaissance de la technologie est critique, l’importance de la DATA primordiale.

Le vieil adage : « Content is King » a été remplacé par « Experience of Content is King, all screens are Queen and context is God ».

Penchons nous un peu, sur la définition du mot contexte.

Contexte, nom masculin,

Sens 1 : ensemble des éléments d’un texte qui accompagne un mot (et par extension un contenu) et qui apporte un éclairage sur le sens de celui ci.

Sens 2 : circonstances qui entourent un fait.

La contextualisation doit tirer partie des deux sens du mot. L’enrichissement d’un contenu se fait via les metadata qui renseignent celui-ci. Mais il est important pour cela de structurer ces données. Certaines technologies et techniques le permettent : tout d’abord, la sémantique et ses classifications ontologiques, le Linked Open Data qui permet de lier et d’enrichir un contenu avec des informations existant déjà sur le web, et enfin l’indexation, qu’elle soit faite par les auteurs et/ou producteurs du contenu ou bien qu’elle soit contributive et donc faite par les utilisateurs eux-mêmes.

Pour permettre une recommandation et une personnalisation optimale, il est nécessaire de bien renseigner les contenus avec le plus de granularité possible à l’intérieur même du contenu.

On peut distinguer dans une première approche simplifiée trois classifications nécessaires pour renseigner les contenus, trois ontologies :

- l’ontologie des programmes (type, genre, thèmes, histoire (de quoi cela parle, séquence par séquence par ex.), réalisateur, casting, etc.),

- celle des usages (sur quel terminal je regarde, à quel heure, seul, accompagné, après ou avant quel autre type de contenu, etc..),

- l’ontologie des processus (conception, écriture, tournage, postproduction, diffusion, collaboration, notion de rôle, contribution, amateur, pro,…).

Ces trois ontologies sont bien sûr complémentaires, et elles interagissent via des algorithmes et des règles définies. Cette classification doit être « accessible » en lecture et en écriture tout au long de la chaîne – notamment de distribution – de la conception, en passant par la gestion sémantique des médias, à l’utilisateur final, forcément contributeur en plusieurs points de la chaîne.

Le big data ne pourra être vraiment facteur d’amélioration de l’expérience client que si l’on comprend la structure de ces data. Ce sont les meta-data, les informations sur les données, qui permettent de les structurer. C’est un niveau logique supérieur aux data. Quand il y aura trop de meta-data, il faudra les structurer à leur tour en meta-metadata. On peut imaginer que cela adviendra quand l’homme sera connecté en permanence à internet, quand l’homme sera devenu lui même un objet connecté. On sera alors dans l’ère du « Machine is US ». Puis il y aura tellement plus de machines intelligentes que d’hommes, tellement de machines plus intelligentes que les hommes qu’un niveau logique supplémentaire sera nécessaire, un nouveau niveau logique que les hommes (ou les machines !) créeront : les meta-metametadata. Ce sera alors le temps du « Machine is USing us ». Un moment à la fois passionnant… et effrayant pour l’humanité !

Mais avant d’en arriver là, nous allons nous pencher, dans la troisième partie, sur les autres technologies qui peuvent influer sur l’avenir de la TV.

Quelle expérience de télévision pour demain ? Part 1.

5 novembre 2013

L’IDATE m’a invité dernièrement à présenter, à l’occasion d’un de leurs think tanks, ma vision sur les usages liés à la télévision linéaire et non linéaire. Voici la retranscription de  l’essentiel de cette intervention qui portait sur l’évolution de la consommation des contenus, à 10 ou 15 ans, voire 25 ou 30. Ce texte est découpé en 4 parties. En voici la première autour de l’avenir de la notion de « chaîne » de TV.

Je me suis d’abord posé brièvement la question de ce qu’est une chaîne de TV aujourd’hui et de  son devenir. Je me suis notamment inspiré pour cela de l’article d’Alex Holub, le CEO et fondateur de Vidora : 6 predictions about TV’s future in a post-Chromecast world. Le mobile et la tablette se développent à vitesse grand V, leurs ventes sont largement supérieures à celles des TV qui déclinent partout dans le monde. Or les tablettes et les mobiles sont des terminaux intelligents (on dit bien smartphone, non ?).

S’ils sont intelligents, alors le « poste » de télévision n’a plus besoin de l’être. Il devient seulement un écran connecté, plus grand que les autres, certes, mais un écran parmi les autres. L’avenir des « smart » TV, de la TV connectée et d’HBBTV (L’Hybrid Broadcast Broadband TV) semble bien compromis.

Les seconds écrans contrôlent de plus en plus, grâce à leur intelligence, la TV. L’applicatif via le second écran prend le pas sur la télécommande.

Alors que peut devenir la notion de « chaîne » de télévision ?

A mon sens un service, un service applicatif, orienté expérience d’usage. Cette expérience proposée aidera à choisir le programme qui me plaît, le programme que j’ai envie de regarder maintenant (qu’il soit live, en VOD, SVOD, ou catch-up, ou bien que ce soit un contenu personnel ou un jeu,…). Personnalisation, recommandation, contextualisation seront au centre de cette expérience.

Les marques vont pouvoir mieux tirer leur épingle du jeu qu’aujourd’hui grâce à ces services applicatifs : chaîne de marque (permanente ou éphémère, événementielle, …), brand content, publicité contextualisée et ciblée. On peut voir là les prémices d’un business model, finalement assez classique, mais que les marques renouvelleraient en créant des lieux de conversations autour de l’expérience d’usage de leurs produits.

La concurrence va être forte, très forte, entre les TV traditionnelles – qui devront nécessairement s’adapter à ces nouveaux usages – et les nouveaux entrants, les Google, Netflix, HULU, AMAZON … Un nouveau métier va prendre son essor : les agrégateurs de contenus vidéo sur IP. Leur mission ? Pouvoir offrir un large choix de contenus pour satisfaire le grand public ET les niches, faire du média de masse ET du média de précision. Offrir la meilleure qualité d’expérience et de service au meilleur coût. Non seulement optimiser la recommandation, mais aussi la distribution pour ne pas encombrer les réseaux. Prédire quel contenu sera un contenu de masse, lequel un contenu de précision et le distribuer de la façon la plus adéquate (en multicast ou en unicast, en avance ou à la demande, …).

Une catégorie d’utilisateurs est déjà prête pour cette TV de demain, la génération C (C comme Connectée). C’est chez cette génération que l’on observe l’augmentation la plus forte de consommation de contenus sur le web. C’est la génération déjà post ATAWAD. A l’AnyTime, AnyWhere, AnyDevice, ils ont ajouté le AnyBodyWith (avec tous mes amis) et le AnyChoice (l’hyper-choix). Leur expérience est principalement délinéarisée, en mode synchrone et/ou asynchrone, ils appellent la personnalisation, la recommandation et prônent la culture du partage.

Pour satisfaire ce jeune public, la TV doit devenir un média d’événements live (sport, TV-réalité…) et de contenus délinéarisés. Comment préparer ce changement de paradigme : conjuguer le media de masse et le media de précision ?

Une réponse immédiate consiste à injecter, et ce dès maintenant, du social dans la catch-up, pour augmenter la conversation sociale autour de la télévision de rattrapage et ainsi contribuer à rendre l’expérience au moins aussi palpitante que l’expérience autour du live.

Le contenu doit devenir intrinsèquement et nativement social et conversationnel.

La chaîne, service applicatif orienté expérience d’usage, doit (re)devenir un lieu de rendez-vous, un espace de conversation, en mode synchrone ET asynchrone. Il s’agit d’offrir au spectateur une destination, un lieu où il peut accéder à du contenu mais aussi et surtout un espace au sein duquel il aura plaisir à partager autour de ce contenu, via des conversations sociales avec ses amis et des experts.. Comme l’explique très bien l’excellent post de Mark Suster, les chaînes doivent apprendre à mieux utiliser Facebook et YouTube pour ramener les utilisateurs vers leur contenu sur leur espace de marque et valoriser ainsi leur data d’usage.

Mais pour cela, elles doivent apprendre à mieux connaître leurs spectateurs, leurs usages et leurs habitudes, en sachant capter et dompter les data. C’est ce que nous verrons dans la partie 2.

« TV or not web » versus « web or not TV »

18 octobre 2013

« TV or not web » versus « web or not TV »

Cet article a été publié originalement dans le n°21 du Magazine de la communication de crise et sensible : « Crises à la télévision, télévision en crise ».

Pourquoi la télévision peine à rencontrer les nouveaux usages ? Comment peut elle répondre à la menace des nouveaux entrants qui eux sont nativement web et donc plus près des usages et des technologies ?

Une crise avant tout technologique

Qui se rappelle encore le design de son téléphone portable d’il y a 7 ans avant l’arrivée de l’iPhone d’Apple. Qui se souvient, aujourd’hui, en surfant sur le web et en prenant une photo à 12 Millions de pixels, de ces fonctionnalités d’un autre monde?

La vitesse du changement technologique double tous les 10 ans. Selon Ray Kurzweil, célèbre futurologue américain, apôtre du transhumanisme et récemment engagé par Google en tant que directeur de l’ingénierie, l’équivalent de tous les progrès du vingtième siècle adviendra entre 2000 et 2020, puis à nouveau entre 2020 et 2034 ! Nous sommes arrivés à un point où nous pouvons voir de nos yeux le changement technologique ! La vraie crise est là : n’ayons pas peur de la technologie. Plus d’autres solutions que d’adresser les nouveaux usages et de prendre le train en marche !

Aujourd’hui, il vaut mieux prendre des risques et avancer que de faire du surplace. Paradoxalement, une entreprise, un secteur d’activités, un pays tout entier prennent plus de risque dans le statut quo qu’en osant, en prenant des risques !

Hors la France, pays en crise s’il en est, développe de plus en plus une pensée conservative et attentiste. Le monde de la télévision n’y échappe pas bien au contraire ; les chaines, les producteurs, les régies publicitaires, sont debout sur les freins. Criant au loup contre les géants du web américains, Google, Amazon, Apple, Facebook et consorts, tous les acteurs de la chaine de valeur se sont mis sur pause. Résultat, ils s’enfoncent dans la crise. Mais le changement technologique progressant exponentiellement, l’industrie de la télévision ne doit pas oublier que si elle se met sur pause trois mois, il lui en faudra quatre pour rattraper son retard.

Menacés par les géants du web américains, et perclus d’attentisme, l’industrie de la télévision française est en grand danger, voyons quels sont ses enjeux et ses solutions pour sortir de la crise.

La télévision va-elle-mourir ?

Non la télévision ne va pas mourir, elle va s’épanouir au milieu du salon, gagnant même en taille et en puissance, jusqu’à s’afficher, sur les murs en 4K voire 8K d’ici quelques années. Mais la télévision est devenue un écran comme un autre, le plus grand certes, mais un écran parmi les écrans, smartphones, tablettes, phablets, PC. Le public est et sera toujours friant de vidéos, d’histoires, et le confort d’une grande et belle image gardera de son attrait. Le rendez-vous passif, de masse sera toujours populaire, mais moins souvent, moins longtemps.

Les nouveaux écrans, les autres écrans, les petits, font déjà à la télévision une concurrence féroce, notamment chez les plus jeunes. Les nouveaux usages plus actifs risquent de lui faire perdre son statut de leader pour la consommation des images et des histoires. Les chaines de télévision ne doivent pas voir le web comme un concurrent ou une menace, cela n’a aucun sens. Le web pris dans son ensemble n’est pas une menace. Certains acteurs le sont peut-être mais c’est justement parce qu’ils ne se considèrent pas comme des acteurs limités à une case (le web) mais réfléchissent en terme d’une expérience globale qu’ils fournissent. Pour eux le web n’est qu’un canal parmi d’autres pour toucher l’audience, au même titre que l’écran de TV, le smartphone et demain les objets connectés.

Le web ne va pas tuer la télévision, la compétition sera acharnée mais les deux medias sont voués à coexister, à la fois pacifiquement et agressivement. La radio n’a pas disparu avec l’arrivée de la télévision.

Une nouvelle télévision

On assiste déjà et ce phénomène va s’amplifier, à un double glissement des images, du web vers la télévision et de la télévision vers le web. Sur le plan du contenu d’abord, les contenus dits « prime » sont maintenant sur YouTube, et les contenus générés par les utilisateurs et les conversations sociales de Twitter et Facebook sont maintenant, avec plus ou moins de bonheur, sur les grands écrans. Sur un plan de la technologie ensuite, avec la TV connectée, la social TV, la télévision essaye de s’approprier les codes et usages du web ; à l’inverse, des sociétés comme Netflix, Amazon, Google avec Google TV ne se considèrent plus simplement comme des entreprises digitales : elles font de la télévision sur le web. Pour la télévision, les nouveaux usages renforcent les anciens, pour les nouveaux entrants, ils sont le cheval de Troie, pour capter la valeur économique, encore colossale, de la vieille télévision.

Quand Amazon vient à la VOD, ce n’est pas pour s’opposer aux chaines, c’est parce que ça fait du sens dans le cadre du service global qu’il veut proposer (vidéo sous toutes ses formes, entertainment, cloud, vie numérique des gens …). Une chaine de TV doit commencer à penser de cette façon : je ne suis plus un canal qu’on allume le soir en rentrant du boulot, je suis un lieu où des choses (à définir et à inventer) se passent en continu, je suis accessible en permanence, sous différentes formes mais mon objectif, mon ADN, reste le même : divertir, accaparer un cerveau pendant un certain temps (si possible de façon hyper prégnante), et rendre ce cerveau disponible pour mes annonceurs.

L’âge moyen des spectateurs est de plus en plus élevé, pourtant la télévision de papa c’est fini, une nouvelle télévision est en train d’apparaître. Ce n’est donc pas tant la télévision qui est en crise que les chaines de télévision, beaucoup trop attentistes. Le web et ses acteurs avancent, ils prennent des risques, tentent, se trompent, apprennent et recommencent. Google TV maintenant dans sa version trois et toujours sans véritable succès en est le parfait symbole. Dans cette guerre fratricide web contre TV, une chose est sure, le web va plus vite.

Des spectateurs aux « users »

Mais surtout, le web ne considère pas ses clients comme des spectateurs mais comme des utilisateurs, des « users » comme on dit en anglais. Ces utilisateurs, le web les place au centre de son dispositif, de son offre. Tout est fait pour eux, le discours BtoC a remplacé le discours BtoB. Le « user » est étudié, choyé, gratifié, récompensé. Les usages sont analysés, lancés, testés, modifiés, relancés. Une grande attention est accordée au côté multitasker notamment des jeunes, à la façon dont ils se lassent vite, dont ils butinent de contenus en contenus, d’applications en applications, d’écrans en écrans. Le « user » veut être proche du contenu, du réalisateur, de l’acteur, du chanteur, du présentateur. Son mode de consommation est la conversation, son mode de réception est social. Il réémet, remixe, commente, dénigre aussi parfois vers ses amis et sa communauté. Les players du web qui œuvrent dans le domaine de la télévision, adressent au plus près ces usages qu’ils connaissent et appréhendent mieux que leurs concurrents du monde de la TV. Plus même que l’utilisateur, c’est l’UX qu’ils privilégient quand la télévision s’arrête à l’UI. L’expérience de l’utilisateur (UX) plutôt que l’interface utilisateur (UI) qui n’en est qu’une composante.

L’influence du ATAWAD

Une des lignes de force de l’expérience utilisateur aujourd’hui, c’est : je consomme le contenu ou je veux quand je veux, comme je veux, c’est le fameux ATAWAD (AnyTime, AnyWhere, AnyDevice). Pour pouvoir répondre à cette demande les acteurs du web bénéficient d’un atout important, la télévision sur le web est naturellement délinéarisée. La crise de la télévision s’explique aussi par la peur des chaines envers la délinéarisation. Tant qu’ils se boucheront les yeux et ne l’envisageront pas à bras le corps, ils n’avanceront pas. Et ce n’est pas les timides tentatives, avec la catch up (dont l’audience croit grandement) et la VOD et la SVOD qui souffrent d’une chronologie des medias trop rigides, d’un catalogue souvent trop restreint et d’une offre tarifaire trop élevée, qui inverseront la tendance. Les chaines de télévisions doivent proposer de riches offres délinéarisées, complémentaires de leur offre de flux live pour contrer efficacement la montée en puissance promises des Netflix, Love films et Youtube.

La délinéarisation

Demain l’offre sera entièrement délinéarisée avec des évènements live tels le sport, la télé réalité et de gros évènements marketing. Netflix en est la preuve vivante. Le service de vidéo par abonnement américain a diffusé les 10 épisodes de la série TV de Fincher « House of cards » à ses abonnés en février 2013, de manière innovante, en une seule fois.

Les chaines de télévision doivent réinventer leur métier d’éditeurs et surmonter cette crise en sachant accompagner le spectateur, non le « user », dans son expérience. La solution pour sortir de la crise et se poser en alternative forte, c’est de développer la personnalisation et la recommandation, deux des composantes principales de l’expérience utilisateur. La recommandation offre une meilleure expérience que le search. Suggestive, elle offre une navigation contextuelle au milieu des contenus, ce n’est plus le « user » qui va aux contenus mais les contenus qui viennent à lui. La personnalisation est le reverse engineering de la délinéarisation, elle permet, aux utilisateurs les plus passifs, de créer automatiquement leur propre chaine de flux, « relinéarisée », mais avec seulement des contenus qu’ils apprécient, une chaine qui leur donne à tout instant, la possibilité de « sauter » de programme en programme. En somme un « leanback » dynamique.

Contenu et Big Data : l’enjeu de la contextualisation

Pour offrir une expérience qui puisse rencontrer ces nouveaux usages, les chaines de télévision doivent appréhender une question technique primordiale : la question des data et des metadata que l’on range aujourd’hui sous le vocable à la mode du Big Data. Cette question des contenus et des Big Data est certainement l’enjeu majeur aujourd’hui pour les chaînes de télévision pour sortir de la crise. Certains l’appellent aussi la contextualisation des contenus.

Le vieil adage : « Content is king » a été remplacé par « Content is King, all screens are Queen and context is God ».

Penchons-nous un peu, sur la définition du mot contexte.

Contexte, nom masculin,

Sens 1 : ensemble des éléments d’un texte qui accompagne un mot (et par extension un contenu) et qui apporte un éclairage sur le sens de celui-ci.

Sens 2 : circonstances qui entourent un fait.

La notion de contexte doit ici s’appliquer dans ces deux sens. La contextualiser consiste à éclairer le sens des contenus (on peut même aller jusqu’à les enrichir), et à expliciter les circonstances qui les entourent. D’une part, il est important de savoir qui sont : le réalisateur du film, les acteurs, les équipes techniques, le genre du film, son ou ses sujets, et d’une manière plus granulaire de savoir par exemple quelles scènes se passent à Rio, à Paris, en été, de jour, ou sur la mer… D’autre part, il est aussi important de savoir quelles sont les circonstances d’usage du spectateur : sur tablette ou TV, il est seul ou avec sa fille de 8 ans, il est 20H ou 23h, il est chez lui ou en déplacement professionnel… La connaissance et le traitement de ces informations contextuelles vont permettre de lui offrir une expérience au plus près de ses désirs. Ce sont ces data sur lesquelles les chaines de télévision doivent porter l’accent pour offrir à l’utilisateur la meilleure des expériences possibles. Un « user » qui prend part à ces Big data avec la conversation sociale. Un user qui renseigne aussi le contexte via Facebook, twitter et les sites de fans.

Ce sont les traitements de toutes ces données grâce à des algorithmes qui permettront aux chaines de télévision d’offrir une riche expérience de recommandation et/ou de personnalisation à l’utilisateur. L’enjeu est fort pour les chaines de télévision face aux acteurs du web qui sont eux des professionnels des données depuis longtemps : redevenir éditeur, redevenir force de proposition riche, culturelle et divertissante.

Un peu de science-fiction transgressive.

Nous sommes en 2023, après Avatar 3, Cameron vient de réaliser son nouveau film. Il a scanné en 3D ses acteurs, Nicole Kidman et Tom Cruise, a tourné dans des décors réels qui ont été transformés en décor de synthèse. Il a conçu et monté son film entièrement sur ordinateur, il a rajeuni ses acteurs, leur a donné des émotions, et écrit son histoire, entièrement après coup, grâce à un logiciel qu’il vient de mettre au point. Vous êtes chez vous seul, votre femme est en vacances, vous visionnez ce film sur votre écran mural de 4 mètres sur deux. Vous pouvez agir sur l’histoire avec une version simplifiée du logiciel de Cameron. C’est vous sur l’écran, vous avez remplacé le scan 3D d’un des acteurs par le vôtre. Ce n’est plus Nicole Kidman ou Tom Cruise, mais le ou la voisine du 8 ème que vous avez scanné(e) sans qu’il ou elle ne s’en aperçoive, grâce à un hack ingénieux dans l’ascenseur. La scène de sexe ne se passe plus dans la salle de bain imaginée par Cameron, mais dans la vôtre que vous avez substituée dans le logiciel. Il est 23h vous êtes rentré(e) fatigué(e) du bureau, le scénario du film est simplifié, votre rôle est magnifié, vous pouvez vivre une expérience passive mais riche dans un contexte rendu actif. La contextualisation est à l’œuvre.

Le triangle d’or pour sortir de la crise

La crise de la télévision est une crise de business : en tentant de protéger leur business ancien (la TV) contre l’ennemi (le web) au lieu de l’englober dans leur business, les chaines  de télévision (mais aussi les autres medias tel la presse et la musique et le livre) sont en train de tuer dans l’œuf leur business actuel. Ils contribuent à l’émergence d’acteurs tiers (pas seulement du web mais des concurrents au sens le plus littéral du terme, qui s’y sont pris autrement) qui vont finir par les manger parce qu’ils ont compris, eux, le monde dans lequel ils vivent.

C’est par la maitrise des bigdata que les chaines de télévision pourront sortir de la crise. Les chaines de télévision doivent résoudre une équation complexe à trois inconnues : le contenu, l’accès intelligent et l’expérience d’usage. Qui dit équation complexe dit relations entre les inconnues, le tout étant plus que la somme des parties. Mais ces inconnues ne sont pas égales, l’expérience d’usage sociale domine ce triangle d’or. Pour sortir de la crise les chaines de télévision doivent offrir la meilleure expérience d’usage possible pour donner aux « users » les contenus comme ils désirent, quand ils les désirent et où ils les désirent. Et pour cela ils doivent apprendre à faire parler les big data, leur donner une couleur sociale et trouver le killer algorithme. Vite !